Initiée en 2020, la collection de l’Ircam intitulée Musiques-Fictions propose une expérience à la fois littéraire et sonore inédite, associant un texte contemporain à une création musicale, dans un dispositif de diffusion immersif....
Installé·e sous le dôme de diffusion ambisonique de l’Ircam composé de 49 haut-parleurs, reconstitué dans le Module du GMEM, l’auditeur·rice est convié·e à une écoute où l’imagination est sollicitée par un environnement sonore aux possibilités expressives étendues permettant de reproduire une situation d’écoute proche de celle du monde réel, de la grande scène spectaculaire aux plus infimes détails du discours intime.
Cette Musique-Fiction intitulée « Le Sentiment du monde » est une adaptation de « L’Établi » de Robert Linhart, traitant des quelques centaines de militant·e·s intellectuel·le·s qui, à partir de 1967, s’embauchaient, s’établissaient dans les usines ou les docks.
Robert Linhart fut l’un d’entre eux, passant une année comme ouvrier dans l’usine Citroën de Choisy. Dix ans plus tard, il décide de livrer son témoignage. Poignant et précis, ce récit permet de saisir les rapports de production, les systèmes de surveillance, la répression, le rapport de force inégal entre les chef·fe·s et les ouvrier·ère·s, qu’il·elle·s soient français·e·s ou immigré·e·s.
L’Établi, c’est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières avant qu’elles passent au montage. L’Établi réunit aujourd’hui le compositeur Roque Rivas et la metteuse en scène Julia Vidit.
Production
Ircam-Centre Pompidou
Soutien
Sacem
D’après
« L’Établi » de Robert Linhart © Éditions de Minuit
En partenariat avec
la Friche la Belle de Mai
Adaptation de « L’Établi » de Robert Linhart à partir des chapitres « La Grève » et « Le Sentiment du monde ».
« D’un point de vue sonore, j’ai choisi d’accompagner ce texte — puissant dans ses propos politiques et sociaux — avec des atmosphères qui évoquent les lieux et les situations dans lesquelles se déroule l’action. Il peut s’agir d’espaces vastes et extérieurs (l’usine, la rue, etc.) ou alors d’espaces réduits et intérieurs (le café). C’est au sein de ces espaces que je reconstruis et j’articule, à l’aide d’échantillons, les bruitages des divers évènements du récit. Cette démarche, qui peut être considérée comme “naturaliste” est en réalité bien plus ambigüe. Elle vise à évoquer la mémoire et le rapport au temps, dimensions fondamentales du texte. Si celui-ci nous parle d’un épisode historique précis, l’atmosphère sonore veille à créer un cadre atemporel. Les deux chapitres du texte possèdent une rythmicité et une respiration tout en contraste. La première partie, plutôt dynamique, dévoile une course contre la montre, avec des moments de suspens, qui suit la progression de la grève. Les sons des machines, des ouvrier·ère·s et autres bruits de l’usine articulent le récit.
La deuxième partie, plus lente, ouverte, avec une temporalité et une sonorité dilatées explore l’introspection.
J’ai conçu la couleur sonore globale de la pièce, en faisant référence à la matérialité du métal, si présent dans l’usine Citroën.
Cette sonorité dense, parfois brillante et stridente, d’autres fois opaque et sombre, met en relief les aspects expressifs et émotionnels du texte. L’écriture spatiale suit les transformations des lieux et du récit. Le placement de la voix est plutôt sobre. Néanmoins, les divers souvenirs évoqués par l’auteur prendront place dans cet espace reconstitué, créant des atmosphères de densité et ampleur diverses qui remémorent ce sentiment d’un monde disparu. »
— Roque Rivas
« Le texte de Robert Linhart est sur une ligne de crête : il écrit à la fois son point de vue intime et son point de vue politique sur son expérience passée d’Établi. À la lecture, je suis face à un témoignage historique d’un système de production d’automobiles au 20e siècle et face à l’extrême sensibilité d’un homme qui constate, dans ce cadre, l’injustice et l’inégalité profonde entre les hommes. Pour traduire cette sensation de lectrice en œuvre sonore, j’ai choisi de réunir deux chapitres du livre : « La grève » et « Le Sentiment du monde ». Adossés l’un à l’autre, comme en miroir, ces deux temps distincts vécus par le narrateur décrivent deux façons de vivre la lutte. Il y a la grève collective et harassante contre la récupération injuste d’heures de travail imposée par les patrons. Jour par jour, heure par heure et dans le vacarme de la chaîne, la mise en marche de la machine antigrève Citroën qui s’élève contre les grévistes et fait son travail de sape. Plus tard, et puni pour son rôle actif dans la lutte, il y a la rencontre avec un frère obscur. Tous deux parqués, ils se lient le temps d’une journée de labeur. Malgré leurs différences de classe et de culture, un sentiment de reconnaissance, advient. Un sentiment profond, complexe, infini, émerge, dans ce contexte inhumain. Un sentiment du monde, irrésolvable, qui se console peut-être par ce type de rencontre.
La voix de Robert Linhart est une, car il est le seul témoin de son expérience. La seule voix d’Hassam Ghancy portera ses mots, faisant le pont entre 1967 et aujourd’hui, entre l’auteur et nous. Mettre en voix ce texte, c’est spatialiser les souvenirs pour en faire une mémoire partagée et collective. C’est, je l’espère, faire entendre un récit manquant de notre histoire, qui convoque des objets, des fantômes et des systèmes encore trop présents. »
— Julia Vidit
Robert Linhart
Auteur
Né en 1944 à Nice, Robert Linhart suit des études de philosophie à Normale Sup rue d’Ulm où il fonde, en 1966, l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes avant de former avec Benny Lévy la Gauche prolétarienne. En mai 68, il est hospitalisé pour dépression avant de décider d’aller ‘‘s’établir’’ comme ouvrier chez Citroën. Il publie un livre en 1978 qui retrace cette expérience, « L’Établi » (Minuit). En 1981, après une tentative de suicide et un profond coma, il tombe dans un long mutisme dont il ne sort qu’au tournant des années 2010. Il a été maître de conférence en sociologie à l’Université Paris VIII-Saint Denis. Il est également l’auteur de « Lénine, les paysans, Taylor : essai d’analyse matérialiste historique de la naissance du système productif soviétique », Paris, Le Seuil, 1976 et de « Le Sucre et la Faim : enquête dans les régions sucrières du Nord-Est brésilien », Paris, Minuit.
Roque Rivas
Compositeur
Né en 1975 à Santiago du Chili, Roque Rivas suit des études de composition électroacoustique et d’informatique musicale au Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon avant d’entrer dans la classe de perfectionnement en composition d’Emmanuel Nunes au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. De 2006 à 2008, il suit les deux années du Cursus de composition et d’informatique musicale de l’Ircam, où il étudie avec Yan Maresz. Dans le cadre de sa formation il participe également au cours de composition au Centre Acanthes en 2004, sous la direction de Jonathan Harvey et Philippe Manoury, puis à l’Atelier Opéra en création au Festival d’Aix-en-Provence en 2011, sous la direction du compositeur et chef d’orchestre Peter Eötvös. Il a reçu divers prix et récompenses, parmi lesquelles le 1er prix du Concours international de Bourges (IMEB) dans la catégorie Musiques électroacoustiques et arts électroniques et le Giga-Hertz Preis für Elektronische Musik, du ZKM et de l’ExperimentalStudio de la SWR. En 2005, la fondation Francis et Mica Salabert lui décerne le prix annuel pour le département de composition du Conservatoire national supérieur musique et danse de Lyon. Pendant la période 2015-2016, Roque Rivas a été pensionnaire à l’Académie de France en Madrid, Casa de Velázquez, de 2017 à 2018 à l’Académie de France à Rome, Villa Médicis et de 2021 à 2022 à la Villa Albertine à New York. Ses œuvres sont jouées par des ensembles et interprètes tels que l’Ensemble Intercontemporain, London Sinfonietta, Asko|Schoenberg, Ictus, Remix, L’Itinéraire, Les cris de Paris, Les Métaboles, et sont présentées dans des grands festivals internationaux. Ses œuvres sont publiées aux éditions Durand (Universal Music Publishing).
Julia Vidit
Metteuse en scène
Julia Vidit se forme à l’École-Théâtre du Passage puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Au théâtre, elle joue Shakespeare, Marivaux, Corneille, Genet, Mishima, Vinaver ou Carole Fréchette, sous la direction de Ludovic Lagarde, Victor Gaultier-Martin, Jean- Baptiste Sastre, Edward Bond, Alain Ollivier et Jacques Vincey. En 2006, elle créé la compagnie Java Vérité et met en scène « Mon cadavre sera piégé » de Pierre Desproges. Suivront les mises en scène de « Fantasio » de Musset (2009), « Bon gré Mal gré » spectacle musical d’Emanuel Bémer (2010), « Le Faiseur de Théâtre » de Thomas Bernhard (2014), « Illusions » d’Ivan Viripaev (2015), « Dernières Pailles » de Guillaume Cayet (2018), « Le Menteur de Corneille » (2017), « La Bouche pleine de terre » de Brãnimir Scepanovic (2021). Depuis 2014, elle collabore avec l’auteur – dramaturge Guillaume Cayet à qui elle commande des petites formes « Le Menteur 2.0 » (2017), « Skolstrejk » (2019) et des formes participatives comme « La Grande Illusion » (2016). Elle est associée à plusieurs lieux labellisés : Scènes Vosges – Scène Conventionnée d’Épinal (2011-2013), ACB-Scène Nationale de Bar-le-Duc (2014-2018), CDN Nancy Lorraine (2017-2018), Le Carreau-Scène nationale de Forbach (2018-2019).
Le 1er janvier 2021, Julia Vidit prend la direction du Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy Lorraine. En juillet 2021, elle crée « Pour Quoi Faire ? » de Marilyn Mattei en itinérance, et crée en mars 2022 à Nancy, « C’est comme ça (si vous voulez) » d’après Luigi Pirandello.
Augustin Muller
Réalisateur informatique musicale
Spécialisé dans l’informatique musicale et la diffusion sonore, Augustin Muller travaille avec différents artistes et ensembles (Le Balcon, Ensemble intercontemporain, L’Instant Donné, Links, International Contemporary Ensemble…) pour des concerts et des festivals. Issu d’une génération directement confrontée à la question de l’interprétation du répertoire mixte, il travaille à l’Ircam depuis 2010 pour des projets de concerts, de recherche et de créations avec de nombreux·euses compositeur·rice·s (Levinas, Platz, Carreño, Fourès, Eldar), musicien·ne·s et performeur·euse·s, et s’implique dans plusieurs projets au niveau de la diffusion sonore et de l’électronique live, notamment au sein de l’orchestre Le Balcon.
Friche la Belle de Mai (le Module)
41, rue Jobin13003
Marseille
TARIFS
Plein : 8€
Réduit : 6€ *
* Jeunes 12 — 25 ans, étudiant·e·s, demandeur·euse·s d'emploi, bénéficiaires des minima sociaux, intermittent·e·s, séniors de 65 ans et plus — sur justificatif.
Pass Musiques-Fictions * : 10€
* donnant accès à deux séances dans la même journée : Musique-Fiction 8 + Musique-Fiction 9 du jeudi 8 mai
DURÉE
45 min.
Robert Linhart
texte
Roque Rivas
musique
Julia Vidit
adaptation
Augustin Muller
réalisation informatique musicale Ircam
Oscar Ferran
ingénierie sonore
avec la voix de
Hassam Ghancy
musique enregistrée par
Mathieu Steffanus (clarinette)